Enguerrand de Malemont

Enguerrand est un vieux de la vieille. Un chevalier qui en a vu plus qu'il n'aurait dû en voir, et sans doute plus que ce qu'il n'aurait bien voulu connaître. Tous les hommes ont un point de rupture, et afin de ne pas avoir à trouver le sien, Enguerrand plonge régulièrement dans les affres de l'alcool, un ami fidèle depuis près de dix ans. Volontiers cynique et taquin, il n'apprécie ni la jeunesse ni son goût prononcé pour la bataille. Malgré ses petites tares et son attitude déplorable, il n'en reste pas moins un homme du monde, et sait se tenir lorsqu'il est en société ou en présence de sa suzeraine.








Ayant passé la trentaine, beaucoup de gens l'appellent déjà vieil homme. S'il dit avoir encore de belles années devant lui, il lui faut admettre qu'il n'est plus tout jeune. Son corps robuste a déjà vu de nombreux échanges, comme le content ses vieilles cicatrices. Il possède en outre une belle chevelure auburn, un visage marqué par quelques rides, mais fort et avenant, ainsi que des yeux gris dans lesquels sommeillent de profondes petites tâches vertes. Quand il n'est pas vêtu de son armure pour impressionner la galerie, il revêt de jolis habits aux couleurs sobres. Après tout, cela revient moins cher...



Du plus loin qu'il s'en souvienne, Enguerrand de Malemont n'a pas toujours été cet imbuvable poivrot se prêtant au laïus et à la mesquinerie verbale. Bien avant d'être un ivrogne, il était un fier chevalier. Et avant-même d'être ce guerrier d'élite, il était un enfant.

Second fils du seigneur Amaury de Malemont, Enguerrand était déjà promis à un avenir militaire en devenant le page de la Duchesse d'Orlind. Comme tout bon jeune garçon de son rang, il gravit les échelons de sa formation, se fit nombre d'amis et de rivaux, et reçut finalement ses éperons d'or des mains de la Duchesse elle-même, au cours d'une cérémonie d'accolade qui s'était juré de ne jamais oublier.

Chevalier et fier de l'être, lui et son groupe de jeunes pupilles tombait à point nommé, car une guerre couvait sur toute la surface du Royaume ; Ulrick mort, c'était un sentiment de révolte qui animait les coeurs des barons, sans parler des querelles secouant Orlind depuis la mort du Duc Lior. C'est avec allégresse qu'Enguerrand se jeta dans la mêlée, et gagna une solide réputation de guerrier. Pendant près de trois ans, il donna la mort à de nombreux hommes, quel qu'ait été leur rang, pour la gloire de sa maîtresse. Et malgré la victoire et les éloges, l'allégresse s'en était allée. Car il avait vu le vrai visage de la guerre, et qu'il ne dormirait plus jamais comme avant.

Chaque nouvelle bataille qu'il livra pour Ornella le dégoûtait un peu plus de ce qu'il représentait, surtout depuis la perte de l'un de ses écuyers. Les idéaux qu'il chérissait étaient passés à la moulinette du sang, des larmes et des vers. Face à la cruauté du monde, à sa folie et à ses vices, Enguerrand n'avait d'autre choix que de taire ses états d'âmes, et se réfugier dans les brumes de l'éther. Avec de moins en moins d'amis en vie, il devint plus seul qu'il ne l'avait jamais été, entouré de jeunes puçards gonflés à l'orgueil et à l'envie d'en découdre. Il se rappelait souvent avoir été jeune aussi, mais cela ne faisait rien pour le réconforter. C'était même pire...

Dispensant ses conseils militaires acquis de haute lutte à la Dame des Epines, Enguerrand se fait de plus en plus rare sur les champs de bataille. Et pourtant, sur ordre ducal, il serait prêt à y retourner, car il est fidèle avant d'être fou...