Aude est une jeune femme élevée dans une famille noble et riche. En tant qu’héritière, elle a longuement baigné dans un milieu où la sociabilité et les apparences étaient extrêmement importantes. Ainsi, elle est naturellement charismatique. Son parler et ses manières sont excellentes, policées, mais également empreintes d’un certain maniérisme et d’un complexe de supériorité évident vis-à-vis de ses inférieurs.
Douce et curieuse, elle est intimidée par la gent masculine, envers qui elle n’a eu que peu de contact au cours de sa vie, et dont elle ignore presque tout. Parfois naïve et influençable selon les circonstances, elle a une profonde soif d’apprendre et de remplir le rôle qui lui a été destiné depuis sa naissance.
Extrêmement complexée par son œil droit, elle est d’une susceptibilité excessive sur le sujet, et semble convaincue de l’importance du secret sur ce point.
Notre jeune duchesse a toujours été très jolie, bien que ses cheveux, d’une riche couleur chocolat, et que ses grands yeux noirs ne soient pas la marque d’une beauté conventionnelle. Un teint laiteux, une bouche fine, un front haut et une taille épanouie, notre demoiselle possède une silhouette élancée et harmonieuse, mise en valeurs par des robes somptueuses et à la dernière mode. Elle aime particulièrement se parer et que l’on prenne soin d’elle : ainsi, elle s’abandonne entre les mains de son personnel avec confiance pour ce qui concerne son apparence extérieure, qui doit être parfaite. Son œil droit, aveugle, n’est pas endommagé en apparence, même si, à bien y regarder, on s’aperçoit aisément qu’il est plus pâle que son homologue gauche, et qu’il ne suit pas les mouvements.
Histoire : Née sous le signe de la chance, voilà comment l’on pourrait qualifier la venue au monde de ma maitresse. Ainée d’une fratrie de quatre enfants, héritière de la baronnie, Aude d’Erdor a toujours bénéficié de toutes les attentions.
Ainsi, nourrices et servantes ont veillé sur elle, tout comme sa mère qui semblait considérer sa naissance comme miraculeuse. Dans un sens, c’était le cas – car on raconte que la Dame d’Erdor, Anne-Catherine, fut victime d’un accident de cheval dans sa jeunesse. Elle en perdit l’enfant qu’elle portait, tomba malade durant de longs mois, et les médecins prédirent une stérilité future. Le Baron en fut très affecté, refusant de répudier son épouse, envers qui il avait beaucoup d’affection. Bien lui en prit, car quelques années plus tard, en l’an 12, elle finit par mettre au monde une petite fille. Sa grossesse ayant été très difficile, la Dame d’Erdor ne put alimenter son enfant elle-même, mais un lien très fort se créa rapidement entre elle et le nouveau-né, que chacun dans le château voyait comme un véritable trésor.
C’est à cette époque-là que je fus engagée pour servir la petite fille. A deux ans, elle se montrait intrépide et gaie, toujours rieuse, prompte à jouer et à courir partout. Bien souvent, il fallait l’arrêter pour lui demander de se reposer, car elle fatiguait sa mère et ses servantes, qui n’étaient pas trop de deux pour veiller sur elle.
En grandissant, ma chère Aude affirma son caractère aimable et sa sociabilité. Elle jouait sans fin dans la cour et dans les bois qui environnaient sa noble demeure, revenant parfois dans un état déplorable que nous ne pouvions empêcher ; tant et si bien qu’un jour, sa hardiesse fut punie. Echappant à notre surveillance, l’enfant de six ans qu’elle était escalada un mur. Mais elle eut un vertige, et elle tomba lourdement sur des pierres sculptées qui ornaient le jardin.
A partir de cet instant, la vie d’Aude changea. Elle dû limiter ses sorties à l’extérieur, car on lui adjoignit plusieurs précepteurs, pour son instruction. Son père était baron, et elle était fiancée alors à un autre fils de baron ami de son père, voisin de son fief – un garçonnet d’une douzaine d’années prétentieux et adipeux, qu’elle connaissait à peine, car il ne lui adressait jamais la parole. Mais elle n’en semblait guère affectée, car elle avait bien appris sa leçon ! L’amour n’était guère destiné aux nobles. Elle avait bien d’autres choses à faire, par ailleurs, car la petite fille qu’elle était alors s’était prise d’une immense soif de connaissance. Ainsi, elle dévorait parchemins de comptes, rapport de l’intendant, livres d’histoire et traités religieux. Elle virevoltait au son de la harpe avec grâce, commençait à apprendre la flûte et le chant ; mais sa santé vacillait.
Depuis sa chute, elle connaissait des épisodes fréquents d’évanouissement, de vomissement, de vertiges. Les médecins ne pouvaient expliquer ce qu’elle avait, mais ses servantes et moi avaient à cœur de lui rendre la vie plus facile. Aussi la vie demeurait-elle douce, joyeuse autour d’elle. Ses deux frères et sa petite sœur contribuaient à la distraire, et ainsi, Aude continuait-elle de s’instruire.
A douze ans, elle chantait fort bien, excellait à la musique et passait des heures à lire. La couture lui était d’un ennui mortel – ce fut au cours d’une de ces séances longues et épuisantes tant pour la jeune fille que pour ses gouvernantes qu’elle eut ses premiers maux d’yeux. La douleur fut terrible, aigue, la força à s’allonger. La crise passa, mais, au fil des années, fut bientôt suivie par d’autres, de plus en plus violentes. Puis la vue à son œil droit baissa – ce qui, heureusement, ne se voyait pas physiquement. A seize ans, elle était aveugle d’un œil. La demoiselle d’Erdor limita ses sorties, tandis qu’un grand silence s’était établi autour de son handicap, de peur que ses fiançailles ne soient annulées.
Ma maitresse, du fait de sa santé fragile, fut autorisée cette année-là à rester au repos dans son château. En compagnie de son père, elle passa son temps à faire de la musique, persuadée que cette année encore, le grand bal organisé pour célébrer le printemps serait une véritable fête dans le manoir de chasse de son fiancé.
Mais ce fut différent. Le feu prit dans la nuit, allumé par des paysans réunis en masse, agacés par ces nobles qui avaient levé la taxe de trop, qui les étranglaient de leur arrogance et de leur supériorité – en un instant, Aude n’avait plus de fiancé, plus de mère, plus de frères, plus de sœur.
Elle était seule avec son père, avec nous, dames de compagnies et servantes attachées à son service.
Ce choc fut épouvantable. Ce deuil du père et de la fille fut lugubre, terrible – à leur manière, ils étaient étonnamment unis, et le baron fit ainsi ce qu’il devait faire. Il réunit ses troupes, et se dirigea à la capitale du Duché pour y rencontrer son suzerain. Il ne pouvait se résoudre à laisser son héritière, sa précieuse et seule héritière seule derrière lui : ce fut ainsi que nous le suivîmes jusqu’au château de Souvret, à Rygarch, afin de demander l’aide du Duc pour mater le soulèvement et punir les coupables de la révolte.
Mais là encore, le pire était à venir.
Alors que je lisais un livre à ma Dame, un serviteur accourut dans nos appartements. Un assassin avait réussi à tendre un piège au Duc dans la forêt, mais en loyal vassal, notre seigneur, le père de la douce Aude, fut assez brave pour se prendre le coup mortel, et ce fut sur une civière de velours qu’il fut ramené au château, suivit de son assassin dûment attaché par des cordes à la suite d’un cheval.
Aude était atterrée. Terrifiée. D’un seul coup, elle se retrouvait seule au monde ; et bien qu’elle ait été préparée toute sa vie à prendre sa place comme baronne, sa jeunesse et son inexpérience serait des fardeaux peu aisés à porter dans un contexte de révoltes paysannes.
A dix-huit ans, la demoiselle essaya de faire néanmoins bonne figure : elle désigna un général de son armée parmi les meilleurs officiers pour briser les lignes des roturiers, et profita de l’hospitalité du Duc et de sa mère pour se remettre des épreuves qui avaient brisé la vie brève et monotone qu’elle avait connu jusque-là.
La proposition de mariage du Duc – ou de sa mère, mais n’étais-ce pas la même chose ? – la laissa tout d’abord sans voix. C’était évident cependant ; aussi accepta-t-elle avec reconnaissance, heureuse d’épouser un aussi beau parti, heureuse aussi d’unir deux lignées glorieuses, qui lui permettait d’envisager l’avenir plus sereinement.
Aude n’en oubliait pas ses morts, ses chers disparus, mais comment ne pas vouloir aller de l’avant ?
Le mariage fut célébré rapidement malgré la période de deuil, permettant ainsi aux deux épousés de profiter pleinement des ressources de la riche baronnie, qui retomba ainsi directement entre les mains du Duc.